Safet Susic est l’une des personnalités évoquée dans la Fondation Popa. Souvenirs très forts de lui en tant que joueur.



Son atypisme déjà : grosse tête, forme ronde, cabochard et lumineux… Je me souviens de lui au Parc des princes, un soir contre Monaco, il y a longtemps, à la fin de l’été… On roulait dans une énorme voiture américaine jaune, l’impression que c’étaient les rues qui tournaient et non pas la caisse à chaque virage, stade plein comme un œuf.



En face du PSG, il y avait Youssouf Fofana, (aucun rapport le criminel) deux fois la balle et deux fois tout le terrain, tout seul, jusque dans les filets adverses...


Mais Susic… Il avait cette façon de jouer, presque ralenti, ce truc paisible, « voilà, je fais comme çi et comme ça, simple c’est », amorti de l’intérieur du pied, puis renvoie de la balle, sans effort apparent, quarante mètres plus loin dans les pieds pil-poil de son coéquipier… Le joueur chargé de le marquer n’osait pas l’approcher… Le laisser faire, ça passera… Parfois, l’impression qu’il marchait alors que tout s’agitait autour de lui, juste ça, recevait le ballon, regardait loin et, finalement, passait dans la forêt de jambes adverses…


Comment dire ça, y avait pas la sensation d’un équilibriste ou d’un jongleur, d’une bête de cirque, non, juste un truc très fluide, sans rupture, sans brusquerie, un truc de plaisir avant tout. Susic n’était ni un constructeur de trajectoires invisibles, comme on aurait pu le dire du Colombien Valdérama, dont on ne comprenait la passe qu’une fois arrivée dans les pieds de son coéquipier, ni un général dirigeant ses troupes, comme un Platini, c’était plus un joueur évoluant sur un faux-rythme, un truc de danse, l’équivalent d’un Gene Kelly, un truc de gros chat.


La deuxième fois, je l’ai vu lorsqu’il était en fin de carrière. Il jouait alors au Red star, le club des « banlieues rouges »…
Le site du Red star animé par le photographe Gérard Valck – véritable et talentueux travail de mémoire qui dépasse le strict cadre du foot- est une mine d’infos pour les nostalgiques d’un foot vraiment populaire. Jusqu’à présent, le club n’a jamais cédé aux sirènes du show-biz. Club formateur par essence, bien ancré dans sa réalité social, s’occupant des gamins, laissant entrevoir ce que peut apporter un club de foot à des gosses qui n’ont pas grand-chose, à 10.000 kilomètres de la coquille vide du PSG.


Là, Susic ne courrait plus du tout. Il y avait un truc très beau ce soir-là. On était en automne, je crois, il faisait déjà froid. Mais le petit stade carré, entôlé, ouvrier, se levait à chaque fois d’un seul corps lorsque le Yougoslave avait le ballon. Cette sensation d’espoir qui renaît et qui fait mettre de côté la grisaille quelques instants.


On peut sociologiser sans fin sur les méfaits du foot, « opium du peuple », suppôt de juntes, et après, et encore ; moi, je crois qu’un gamin qui rentrait à l’œil à la mi-temps et qui voyait le prince Susic chalouper avec son ballon, quelques minutes par match, ça donnait envie de faire des trucs biens, du bon rêve donc.

Des années plus tard, en allant à Valenciennes pour travailler avec mon copain Jacques Glassman, la sensation retrouvée du lien social du foot, sa morale, la violence aussi d’une grosse ville tunnée qui achète un match en s’asseyant sur le plaisir d’une région sinistrée, comme cela a été le cas lors du fameux match « VA – OM » et la perversion d’un système, finissant par faire honte aux victimes de cette petite arnaque de garagiste moyen.


Sans doute qu’avec plus de temps, on aurait pu faire un bouquin bien plus fort sur cette histoire qui symbolise assez bien la conclusion pathétique des « Golden years » à la française, les années 80, ou comment ceux qui ont incarné ce rêve étaient prêt à tout pour maintenir l’illusion, là où d’autres y ont perdu pas mal, boulot, identité, de quoi être propre aux yeux des autres quand on n’a pas beaucoup.


L’ironie a fait que, quelques années plus tard, je me suis retrouvé à bosser pour la télé et Tapie. Fracture ouverte : ici, la morale était que le type bien était celui qui avait triché alors que celui qui avait été honnête, était un type douteux… Forcément…


Dans la Fondation, il y a tout ce trajet en pointillé, celui de nos 20 ou 30 dernières années, en gros l’après 81, la schizophrénie d’un discours, ses conséquences sur un tissu social quand Metzler retrouve la région d’où il est venu.




0 Comments:

Post a Comment




INFORMATIONS LÉGALES

Les données figurant sur ce site sont protégées par le droit d’auteur, le droit à l’image et la législation sur les données à caractère personnel.Tous les éléments (logo, textes, graphiques, illustrations, photographies, iconographies, animation, etc.), y compris les documents téléchargeables, figurant sur ce site sont protégés par le droit de la propriété littéraire et artistique.Conformément aux dispositions de l’article L 342-1 du code de la propriété intellectuelle, le présent site interdit :1) l’extraction par transfert permanent ou temporaire de tout ou partie du contenu de la base de données sur un autre support, par tout moyen et sous toute forme que ce soit ;2) la réutilisation par la mise à disposition du public, quelle qu’en soit la forme, de la totalité ou d’une partie seulement du contenu du site ou de chacun des éléments le constituant.